Le déclic, cet instant très concret qui précipite la carrière d’un entrepreneur
10/09/2025
|By Marie Hertault
Un point de bascule est souvent à l’origine d’une aventure entrepreneuriale. Dans son ouvrage Réussir, c’est possible, Sophie de Menthon questionne plus d’une quarantaine de figures sur les moments décisifs de leurs parcours.
« À 60 ans, j’ai décidé de faire ce que j’aime. » Charles Beigbeder est un entrepreneur bien identifié, connu notamment pour s’être lancé dans la bataille de la libéralisation de l’énergie il y a plus de vingt ans, un chantier titanesque. Mais aujourd’hui, c’est davantage la notion de plaisir qui l’accompagne chez Audacia, un fonds indépendant qui a investi dans plus de 400 sociétés. Un plaisir qui passe pêle-mêle par le défrichage de nouveaux terrains, l’accompagnement de jeunes pousses innovantes, des prises de participation dans des passions de jeunesse, comme l’espace et la physique.
Charles Beigbeder est cité par Sophie de Menthon, elle-même entrepreneure et chroniqueuse dans les médias, dont le nouveau livre Réussir, c’est possible (Fayard) interroge pas moins de 42 patrons « Made in France » pour décrire leur trajectoire et surtout montrer leurs ressorts personnels.
Une étincelle, un moteur
Il en ressort que des aptitudes au départ, la solidité d’une formation académique, la bonne connaissance d’un secteur, des relais familiaux, ne suffisent pas pour étayer une ascension. Il faut souvent un déclic, une étincelle, un moteur qui se met brusquement en marche. Quand il ne s’agit pas d’un épisode brutal de l’existence : « À la suite du décès de mon père en 1995, la vie m’a appelée à prendre le flambeau, raconte Claude Suzanne, la directrice générale des Autocars Suzanne. Ce fut pour moi la fin d’une certaine forme d’innocence. »
Pour Frédéric Peyre, qui consent « (une) scolarité mouvementée », la dynamique a surgi au mitan des années 90. Le président fondateur d’Amplitude Communication (qui développe plusieurs activités dans la circulation parisienne, des mototaxis aux coursiers en passant par le transport d’organes) était à « un tournant de (sa) vie : continuer à suivre quelqu’un ou prendre mon envol. Ce sentiment de propriété, même d’une petite entreprise est incomparable. »
Pour prendre des décisions, l’intéressé se réfère spontanément à cette phrase de son père : « Il vaut mieux des fauves à principes que des enfants de chœur sans moralité. » Et le dirigeant d’enchaîner : « J’ai bâti mes entreprises avec des fauves à principes, des gens déterminés et sincères. »
Finie l’indécision
Cette forme de déclic qui coïncide avec l’urgence à vouloir se réaliser, on la retrouve chez Charles Bignon, qui a créé Batibig (220 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les métiers de la plomberie, du chauffage, de la climatisation, du ravalement…). Ses premiers pas ont été agrémentés par ce constat : « Finis les grands groupes aux longues réunions inutiles, finies les manœuvres politiques, finie l’indécision, à moi la liberté d’agir. » Celui qui pilote désormais 1 200 collaborateurs, contre une poignée au début, martèle que le savoir-faire dans le bâtiment est une histoire de transmission. « Un chef d’entreprise, c’est celui qui va décider une équipe de travailler avec lui. Il acquiert une légitimité qui va lui permettre de décider, de déléguer et de contrôler. »
« L’homme au cœur de l’entreprise » : c’est également l’un des credo de Jeanne Lemoine, la présidente du groupe Lemoine (produits de soins et d’hygiène à base de coton, numéro un européen sur son secteur). Pour cette dernière, la dynamique s’est enclenchée au cours d’une étape chez Cluzel-Dumont, dans le BTP. « Cette première expérience m’a convaincue de tous les champs des possibles dans l’industrie. »
«La valeur du collectif ».
Hubert de Boisredon, le PDG d’Armor Group (consommables d’impression, films high-tech innovants…) était familier de ce potentiel avant qu’un «management par la pression» dans un géant de la chimie ne le convainque définitivement d’embrasser une carrière d’entrepreneur à l’âge de 40 ans et de faire concrètement « l’expérience de la valeur du collectif ».
Faut-il le préciser ? Le déclic entrepreneurial ne se manifeste pas toujours dans l’adversité. L’architecte et décorateur Jacques Garcia confie sans ambages qu’il est né « avec une cuillère en vermeil dans la bouche ». Cette personnalité qui dit ne s’être jamais sentie chef d’entreprise – « J’ai entrepris ma vie, ce qui est extrêmement différent » – insiste sur la prise de conscience de ce paradoxe qui a mû sa carrière : s’intéresser à deux choses qui figurent comme antagonistes, l’ancien et le moderne. « Pourquoi ne pourrait-on faire à la fois la chambre de François Ier à Chambord et un casino à Las Vegas ? » Réconcilier l’inconciliable en quelque sorte : une démarche forcément entraînante.
Madeleine de Proust
Enfin, le déclic peut se manifester dès l’enfance, façon petite madeleine de Proust. Virginie Lefrancq, la directrice générale de Florajet.com (600 000 bouquets commandés chaque année dans 110 pays), dont les parents étaient fleuristes à Pertuis (Vaucluse), évoque la découverte de « la magie des fleurs » : « Leur pouvoir d’apaiser, de réconforter ou d’illuminer une journée. »
Quant à Jean-François Dastrevigne, président du Syndicat général du BTB Savoie (100 adhérents représentant 3 000 salariés, pour 500 millions de chiffre d’affaires), il se souvient d’une sortie scolaire, au cours de laquelle il avait aperçu une installation frigorifique : « D’un côté de la cloison, il faisait une chaleur étouffante. De l’autre, un froid glacial. J’ai trouvé ça magique. » Une autre forme magie que celle des fleurs mais qui vient rappeler que le déclic de l’entrepreneuriat couvre tous les domaines sans exception.
Jeanne Lemoine dirige le groupe Lemoine, spécialisé dans les produits de soins et d’hygiène. Elle a été convaincue très tôt des formidables opportunités de l’environnement industriel. Lemoine
Par Frédéric De Monicault – Le Figaro